Tshisekedi a gagné sa place au Panthéon congolais

La Rédaction de Nyota Radio Télévision

Après le retour de la dépouille mortuaire jeudi, les Congolais rendaient hommage vendredi à Etienne Tshisekedi. Les populations se sont rendus en masse au stade des Martyrs pour rendre hommage à l’homme politique présenté dans un cercueil fermé, plus de deux ans après son décès.

Etienne Tshisekedi au Panthéon congolais

Le célèbre Sphinx de Limite, son surnom, opposant obstiné des présidents successifs depuis 1982, est en passe d’être élevé au rang de héros national pour son combat pour la démocratie. Il a été emprisonné à maintes reprises au cours de sa vie, torturé et banni plus d’une fois. Ses adversaires avaient pourtant essayé d’en faire une relique à la fin de sa vie. Son décès survenu en février 2017 en Belgique à l’âge de 84 ans, deux mois après la fin théorique du mandat de Joseph Kabila, a entraîné d’âpres négociations entre le pouvoir, la famille et les caciques de son parti pour le rapatriement de sa dépouille.

Le président sortant, Joseph Kabila, en a même fait une arme de négociation politique, cherchant à attirer Félix Tshisekedi à la primature pendant la période de transition menant à la dernière présidentielle. Il a finalement réussi à passer un deal avec le fils Tshisekedi en lui offrant la présidence, l’obligeant à rompre ses engagements au sein de la plateforme de l’opposition. Au passage, Joseph Kabila a conservé les principaux leviers du pouvoir. Il devenait alors naturel de clore l’odyssée politico-funéraire d’Etienne Tshisekedi en accordant à la famille des obsèques nationales.

Elu miraculeusement en fin d’année, Félix Tshisekedi a fait libérer des prisonniers politiques et favoriser dernièrement le retour des opposants comme Moïse Katumbi. Il tente aussi de réécrire le roman national à la faveur de ces trois jours de festivités où il se présente, comme son père, comme un combattant de la démocratie. Sitôt la victoire proclamée, ses proches ont débuté le storytelling de leur champion en surfant sur l’héritage politique de son père, une réincarnation de sa transcendance. « Papa j’ai fait ça pour toi ​! ​», aurait même dit l’héritier, à l’annonce des résultats de la présidentielle.

« ​En ramenant la figure d’Etienne Tshisekedi au pays natal, il s’inscrit dans la filiation des libérateurs du Congo, explique Franck Hermann Ekra, fondateur à Abidjan du Laboratoire d’innovation et d’action publique (Lab’nesdem). Laurent-Désiré Kabila, le père de Joseph, s’était déjà construit un récit similaire à partir des représentations disponibles dans les imaginaires sociaux. Les deux dirigeants appliquent le même principe de réalité politique performative. Ils recherchent, in fine, la figure gigogne de Patrice Lumumba, un des pères de l’indépendance et héros sacrifié. ​»

L’image de l’opposant assimilée à une passion christique

Dans cette terre de messianisme qu’est le Congo, la dimension mystique est également surjouée par le clan Tshisekedi. « ​Félix organise le retour en Canaan de la dépouille du patriarche, ajoute Franck Hermann Ekra. L’image de l’opposant est assimilée à une passion christique. Le chef de l’Etat compte ainsi réenchanter la vie des populations à défaut de pouvoir leur apporter le bien-être immédiat. ​​» Les partisans du président ont parlé de victoire divine à la présidentielle.

Le 3 février, Félix Tshisekedi s’est rendu à la messe dominicale au centre missionnaire Philadelphie, une église évangélique de la commune de la Gombe à Kinshasa. Les pasteurs Roland Dalo et Ken Luamba ont alors orchestré une prière, devant les fidèles, pour le guider dans ses nouvelles fonctions.

Au grand dam de Martin Fayulu, challenger malheureux de la présidentielle qui appartenait à la même église. Il estime qu’on lui a usurpé sa victoire. « ​Les pasteurs ont imposé les mains sur le nouveau président, souligne Roger Bongos, journaliste d’investigation dans la diaspora congolaise. Il a consacré un homme qui a volé son poste avec l’aide du président Kabila. ​»

La vérité politique a du mal à s’accommoder de la vérité historique

Et l’Eglise participe à la construction du pouvoir et de la sacralité politique. Mais, pour ses comtempteurs, le fils d’Etienne cherche avant tout à profiter de la figure paternelle comme un avantage concurrentiel. Cela lui permet de compenser un déficit de charisme personnel. Il le fait, qui plus est, en travestissant l’histoire et le testament politique du défunt. « ​Certains à l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) considèrent que le père jugeait son fils trop tendre pour assumer l’héritage politique ​», poursuit Roger Bongos.

D’autres polémiques font rage comme la date du 1er juin, jour de fin des festivités. C’est ce même jour, en 1966, que quatre responsables politiques ont été pendus dans le stade Kamanyola (rebaptisé stade des Martyrs) à Kinshasa, accusé de préparer un complot. Etienne Tshisekedi était alors ministre de l’Intérieur. Les familles des défunts trouvent indécent le moment choisi pour tenir ces cérémonies.

Avant de devenir opposant, l’ancien Premier ministre a aussi longtemps travaillé avec le maréchal-président Mobutu. « ​Il a aussi fréquenté la même confrérie de sciences occultes, Prima Curia, confie Roger Bongos. Ils étaient liés par un pacte de sang. ​» Mais, les deux hommes vont se brouiller au début des années 1980. Le maréchal, dominateur dans ses relations, était réputé pour courtiser les épouses de ses proches. Etienne Tshisekedi rompt avec le dictateur et fonde l’UDPS en 1982, parti d’opposition qui sera la cible d’une sévère répression.

Dépenses somptuaires

« ​Le peuple a du respect pour les morts dans notre pays, ajoute Roger Bongos. Mais de là à faire d’Etienne Tshisekedi un héros national. Beaucoup s’y opposent et voulaient la mise en place d’une commission nationale afin de décider de cette attribution. L’ex-Premier ministre n’a pas mené le sacrifice suprême comme Lumumba. Joseph Kabila avait commencé à vider le titre de sa substance en y élevant un de ses proches collaborateurs, Augustin Katumba Mwanke. ​» Les détracteurs de Tshisekedi s’interrogent aussi sur l’origine de sa fortune suspectant le nouveau héros national d’avoir reçu des mallettes des pouvoirs successifs contre des moments de répit, voire de puissances étrangères, particulièrement américaines. Il reproche encore au combattant de la démocratie d’avoir dirigé sa formation en concentrant tous les pouvoirs, sans tenir de congrès.

Une fois les obsèques passées, les historiens auront le temps de faire la part des choses dans la construction narrative du pouvoir. « ​Il n’est pas sûr que Félix Tshisekedi tire beaucoup de profit de ces festivités, conclut un analyste du pays. Les activistes en critiquent les dépenses somptuaires (jusqu’à six millions d’euros) de l’Etat. ​» Les partisans du défunt réclament déjà leur part comme les chefs traditionnels venus depuis Mbuji Mayi, terre de ses ancêtres, pour assister aux obsèques. La famille Tshisekedi, issue de l’ethnie luba, est particulièrement présente dans le Kasaï, au centre du pays, comptant aussi des communautés importantes dans la capitale.

Le nouveau président doit aussi satisfaire aux sollicitations des jeunes du parti, toujours à la lutte du combat politique. Sans compter les cadres de la formation, lassés par des années d’opposition. « ​Il existe des divergences profondes entre les radicaux de l’UDPS qui pensent comme le père que le compromis en politique est de la compromission et les libéraux pragmatiques qui encouragent l’alliance avec le parti de Joseph Kabila ​», conclut Richie Lontulungu, analyste sociopolitique du pays. L’alliance avec Joseph Kabila est très fragile, les puissances occidentales comptant sur le nouveau président pour s’émanciper de son encombrant parrain. Pour Félix Tshisekedi, l’après-obsèques devrait être parsemé d’embûches.

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