ÉLECTIONS 2023: MOISE KATUMBI VU COMME LE BRAS FORT DE L’OPPOSITION

Le parcours politique de l’ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. De ses départs en exil aux procès à répétition, nous revenons sur le parcours du poids lourd de l’opposition congolaise.

Du grand public, on connaît ses casquettes d’homme politique et d’homme d’affaires puissant en République Démocratique du Congo. Des casquettes qui semblent occulter celle de dirigeant de l’un des clubs de sport les plus célèbres du continent.

C’est d’ailleurs en sa qualité de président du Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi que Moïse Katumbi séjourne à Abidjan en Côte d’Ivoire, lorsqu’il apprend, le 13 juillet dernier, la découverte du corps de son fidèle compagnon, député et membre du bureau politique de son parti, Cherubin Okendé, criblé de balles dans la capitale congolaise Kinshasa.

Katumbi est obligé d’interrompre sa participation à l’assemblée générale de la Confédération Africaine de Football (CAF) pour rejoindre la capitale de son pays, pour rendre hommage au député et dénoncer « un assassinat politique » de son camarade. La justice congolaise a ouvert une enquête pour mieux comprendre les circonstances du décès de Chérubin Okende.

Candidature incertaine

Il aura fallu attendre la dernière minute, pour le voir en avoir le cœur net sur sa participation ou non à la prochaine présidentielle, lui dont la candidature avait déjà été rejetée en 2018 pour binationalité.

Fils d’un père grec-juif et d’une mère congolaise, la candidature de Moïse Katumbi était contestée pour cette élection par Noël Tshiani, l’un des candidats à la présidentielle du 20 décembre prochain.

Ce dernier est défenseur de la nationalité exclusive « de père et de mère ». Il a fait une proposition de loi sur la « congolité », qui viserait à n’accepter dans les hautes fonctions que les Congolais nés de deux parents congolais.

Noël Tshiani affirmait surtout que l’ancien gouverneur du Katanga « aurait obtenu la nationalité italienne » sans fournir de preuve.

Moïse Katumbi a dû attendre la décision de la cour constitutionnelle rendue le 30 octobre dernier.

Les juges de la haute juridiction ont considéré comme « recevables » les requêtes mais « non conformes », constatant ainsi la nationalité congolaise de l’opposant, considéré par les observateurs comme l’un des plus grands challengers du président sortant Felix Tshisekedi.

Brouille avec Joseph Kabila

Politiquement, Moïse Katumbi est président du parti Ensemble pour la république. Allié de l’ancien président Joseph Kabila, il a géré la province du Katanga entre février 2007 et septembre 2015, date à laquelle il a démissionné et a quitté le parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, PPRD.

Dans sa lettre de démission, le désormais opposant charge son ancien patron. Il dénonce « des manœuvres visant à maintenir Joseph Kabila au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels, les dérives totalitaires, les atteintes à la liberté d’expression et les arrestations arbitraires ».

Ce divorce d’avec l’ex dirigeant ne sera pas sans conséquence. Début mai 2016, il annonce sa candidature pour la présidentielle qui devait en principe se tenir en novembre, mais qui a été reportée. La commission électorale avait demandé plus de temps pour réviser le fichier électoral. L’élection ne se tiendra finalement qu’en décembre 2018, et l’opposant Moïse Katumbi n’y prendra pas part.

Déjà lorsqu’il déclare sa candidature en mai 2016, il est sous le coup d’une enquête. La justice congolaise veut en savoir plus sur la supposée « présence de mercenaires » dans l’entourage de l’homme d’affaires, lui imputant la préparation d’une « épreuve de force ».

Moïse Katumbi a nié vouloir créer une milice.

Mais il sera condamné le mois suivant pour une autre affaire, celle de spoliation immobilière.

L’affaire l’opposait à un ressortissant grec qui l’accusait de faux et usage de faux dans l’acquisition d’un immeuble dont le plaignant estime qu’il devait lui revenir en héritage.

L’ancien gouverneur n’a pas pu participer au procès. Il était officiellement en convalescence à Londres, en Angleterre, après avoir inhalé des gaz lacrymogènes alors qu’il se rendait au tribunal.

Katumbi n’est revenu en RDC qu’en 2019, après la présidentielle de décembre 2018 qui a vu le départ de Joseph Kabila, et l’arrivée au pouvoir de Felix Tchisekedi, avec qui par le passé il avait déjà parlé d’une candidature unique.

Alliance avec Félix Tshisekedi

Les deux hommes ne sont pas inconnus l’un de l’autre. Ils se rencontrent régulièrement en Europe pour discuter de la politique interne de la RDC, et planifient de se mettre ensemble pour affronter le président d’alors, Joseph Kabila.

C’est ainsi qu’à son retour au pays après trois ans d’exil, il noue une alliance avec l’UDPS de Félix Tshisekedi.

Une alliance qui a aidé le dirigeant à sortir du carcan de son prédécesseur Joseph Kabila, qui lui, avait conservé les manettes du pouvoir avec une ultra majorité au parlement.

En signant ce pacte, Moïse Katumbi déclare que Félix Tshisekedi avait apporté des réponses claires aux attentes des Congolais, et il comptait l’accompagner à y répondre.

« L’Union Sacrée » est scellée avec d’autres hommes politiques dans la barque, comme l’actuel ministre de la défense Jean-Pierre Bemba.

Mais l’alliance entre le président et Katumbi n’aura été que de deux ans. Bien avant l’officialisation de la séparation, les observateurs de la scène politique congolaise avaient déjà remarqué des fissures au sein de la coalition.

La rupture des bancs sera officialisée par l’ancien gouverneur du Katanga dans la presse française en décembre 2022, justifiant cela par son intention d’être candidat à la présidentielle de 2023.

Le projet politique de Katumbi

« Alternative 2024 pour un Congo uni, démocratique, prospère et solidaire » c’est son slogan pour la campagne électorale en cours dans le pays. Il a été dévoilé le 21 novembre dernier dans son fief de Lubumbashi.

Dans le détail, la promesse que le riche homme d’affaires fait aux congolais porte sur quatre axes principaux, dont la réforme institutionnelle, la valorisation du capital humain, ce qui lui permettra de « relancer la croissance économique », et lutter contre le changement climatique.

L’opposant de 58 ans pense que « Le Congo souffre d’institutions affaiblies par la violation permanente des textes, la corruption et l’impunité ». Ce qui fait que « l’autorité de l’Etat est bafouée sur l’ensemble du territoire national ».

Sur ce segment, il compte sur « la consolidation de la paix et de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national ; le renforcement de la gouvernance politique, administrative et économique, la poursuite du processus de décentralisation et de développement local et le renforcement de notre diplomatie et une politique de bon voisinage ».

Pour ce qui est du capital humain, il «ne veut plus les énormes écarts qui existent entre les plus riches et les plus pauvres ».

Il pense qu’il « faut un Congo solidaire, un Congo où il y a l’inclusivité dans la richesse parce qu’il y a un écart énorme aujourd’hui entre la richesse du Congo, le taux de croissance et la pauvreté des habitants ».

En 2015, il promettait déjà de créer 3,5 millions d’emplois, de désenclaver le pays en y entretenant 23 000 kilomètres de routes, tout en portant à 60% le taux de desserte en eau potable dans le pays.

Il a aussi en tête la construction de 50 000 salles de classes et le recrutement de 15 000 enseignants à travers le pays.

Nouvelles alliances

Candidat à l’élection présidentielle de 2023 avec son parti Ensemble pour la république, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’il sait faire des alliances.

Il a coopéré avec les deux derniers dirigeants du pays, et a toujours su prendre son indépendance, lorsque ses ambitions politiques le lui dictent.

L’ancien gouverneur a d’ailleurs tenté de coaliser ces derniers mois avec Martin Fayulu, le candidat malheureux de la dernière présidentielle, dont les discussions ont eu lieu entre Lubumbashi, son fief, et Pretoria en Afrique du Sud.

La collaboration n’a pas prospéré, Fayulu ayant choisi de maintenir sa candidature, afin de tenter pour une deuxième fois de conquérir le palais de la nation, cette fois face à son tombeur de 2018, Félix Tshisekedi.

Mais, pour cette première en tant que candidat à la présidentielle, Moïse Katumbi peut tout de même compter sur des noms comme Augustin Matata Ponyo, ancien premier ministre de Joseph Kabila entre 2012 et 2016, candidat jusqu’au début de la campagne et qui s’est retiré pour soutenir le puissant homme d’affaires.

Il pourra aussi compter sur Franck Diongo, le président du Mouvement Lumumbiste Progressiste et député de la Lukunga, une des communes de la capitale Kinshasa qui, lui aussi, s’est désisté.

On compte aussi le jeune homme d’affaires de 42 ans, Seth Kikuni Masudi, qui était déjà candidat en 2018. Ce dernier a récemment gagné en popularité pour avoir demandé à la justice d’annuler la candidature du président sortant Félix Tshisekedi. Mais sa requête n’a pas prospéré.

Des alliances qui, associées à son capital personnel, le placent parmi les challengers les plus sérieux au président sortant, selon les observateurs de la scène politique congolaise.

Affaires florissantes

Sa fortune est certainement l’un de ses atouts lors de cette présidentielle.

Originaire du village de Kashobwe, Moïse Katumbi fait fortune dans sa région natale, le Katanga, où il investit dans l’agriculture.

Selon ses révélations dans une interview accordée à l’Agence France Presse, il dit cultiver 6.000 hectares de maïs et 500 hectares de soja.

Pour lui, c’est incompréhensible que son pays ne soit pas autosuffisant sur le plan alimentaire.

À titre d’exemple, il cite sa province d’origine, le Katanga, qui « a besoin de deux millions de tonnes de maïs chaque année, mais n’en produit que 10% ».

Raison pour laquelle, explique-t-il, lorsqu’il était gouverneur du Katanga, il exigeait de chaque société minière qu’elle « cultive au moins 500 hectares avant d’exporter les minerais. La production agricole avait augmenté, les prix sur le marché avaient baissé » se souvient-il.

Katumbi a aussi investi dans l’élevage, le transport, la pêche, et surtout les minerais.

Il crée en 1997, la société Mining Company Katanga (MCK) à Lubumbashi, qui a prospéré avant d’être rachetée en 2015 par le français Necotrans.

Sa fortune n’est pas officiellement connue. Toutefois, il affirme qu’avant d’être élu gouverneur du Katanga son groupe réalisait 400 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2007. Ses investissements incluent aussi la minoterie, le ciment, la pêche et le transport.

Président de Tout Puissant Mazembe

Depuis 1997, Moïse Katumbi a pris la tête des « corbeaux », surnom du club de football dénommé Tout Puissant Mazembe, qui est l’un des plus célèbres du continent.

L’équipe, fondée en 1939, est devenue célèbre pour avoir disputé la finale de la coupe africaine des clubs champions pendant quatre années successives entre 1967 et 1970, et pour en avoir gagné deux, en 1967 et en 1968.

Depuis l’arrivée de Moïse Katumbi, le club a remporté trois ligues africaines des champions en 2009, 2010 et 2015, deux Coupes des confédérations africaines remportés en 2016 et 2017.

Les corbeaux ont aussi disputé la finale de la coupe du monde des clubs champions en 2010.

Aujourd’hui, les corbeaux de Lubumbashi possèdent un stade de 18 000 places, répondant aux standards internationaux.

 

Armand Mouko Boudombo et Pamela Amunazo
BBC News Afrique / MCP , via mediacongo.net
relais, Rédaction Nyota